Bernard a transmis à La Gazette un magnifique texte de Jo qui retrace la vie de son père. De l’enfance dans les Grisons au tragique accident, en passant par les heurs et malheurs de la vie à la ferme, voici retracée la vie  du patriarche de la famille.


Joseph ROSSI, né le 17 février 1893 à Poschiavo (Suisse), canton des Grisons et mort à Vienne (Isère) le 13 janvier 1962. Fils de Pierre-Antoine et de Dominique Fiorini. Petit-fils de François-Joseph, mort et enterré à Saint-Étienne (Loire). Époux d’Élise VIERGE, née le 17 février 1893 et décédée à Craponne le 6 décembre 1989.

De père agriculteur dans une région très pauvre à l’époque de son enfance, il est l’aîné de cinq enfants: Catherine, Bernard, et deux sœurs plus jeunes qui périront noyées dans une mare. L’hiver, on vit au hameau de Spineo, près de la rivière qui descend de la Bernina; et l’été, on monte avec les bêtes à l’alpage de Selva, situé sur un plateau au-dessus de Poschiavo.

Un accident malencontreux rend le père infirme neuf ans avant sa mort prématurée. Le village est partagé en deux par la rivière, les protestants à gauche et les catholiques sur la droite; mais, à l’école, tout le monde se retrouve et les querelles de religion ne manquent pas; Joseph y participe et sa propension à distribuer des gifles le fait baptiser «l’évêque des protestants». Ce surnom s’ajoute à celui de la famille que je ne sais pas orthographier correctement et qui est approximativement «Falargué» ou «Falarque», qu’on peut interpréter de diverses façons; mais je crois savoir qu’on pourrait le traduire par «Fait large»!

Depuis longtemps, la vie est rude dans ces montagnes où la terre est remontée à dos d’homme, car la couche est légère sur le rocher qui affleure; aussi, les jeunes hommes ont pour tradition de s’expatrier pour amasser quelques biens avant un retour au pays vers la trentaine, âge où l’on prend femme et s’installe en fonction de ses moyens. Pour certains, l’expatriation est définitive ou le retour ne se fait que lorsque fortune est faite; ceci explique le quartier des «Mexicains» (me semble-t-il) à Poschiavo, composé de riches demeures du style du pays où l’on a «réussi».

Pour Joseph, il s’agit d’aider sa famille après le décès du père, et c’est vers 1915 (je crois), en pleine guerre, qu’il vient retrouver ses oncles et tantes (pour la plupart célibataires) installés à Saint-Étienne où ils ont créé des boutiques d’artisans encadreurs. Il apprend le métier, et après son mariage le 17 juillet 1917, il ouvre une boutique à Annonay dans l’Ardèche. On travaille dur en famille malgré les naissances d’enfants très rapprochés (29/3/18, 2/11/19, 23/1/21, 26/5/22, 24/7/23, 24/7/25, 22/11/27, 16/6/32) surtout dans les premières années. La prospérité vient avec l’installation à Annonay des «Carrosseries Besset» à qui il faut fournir des «glaces» pour l’équipement des cars. Pour aider, une jeune fille émigrée du Piémont, «Catherine» (ma belle-mère), est embauchée; puis un ouvrier venu du Valais Suisse, «Martin» (mon beau-père), participe aux travaux de la boutique.

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L’affaire prend alors de l’ampleur et un magasin est ouvert à Vienne en 1925 avec le début d’une autre activité: la fabrication et la vente de meubles. À coup de «pub» (c’était un précurseur du genre) avec des véhicules hauts en couleur et bardés de slogans, l’affaire prospère et si on abandonne Annonay au moment de l’installation à Vienne, on ouvre une succursale avec gérant au Péage de Roussillon, un atelier ailleurs à Vienne avant de s’installer à Saint-Colombe, puis aussi à Saint-Cyr-sur-le-Rhône (Sainte-Colombe: fabrication et vente; Saint-Cyr: atelier seulement) enfin, un magasin est ouvert à Givors.

Les deux époux travaillent beaucoup, on voyage souvent la nuit – pour aller faire des achats de meubles – afin d’être présents au magasin, à l’atelier et aux livraisons le plus possible; le personnel est devenu conséquent en nombre et qualité et l’affaire marche bien.

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Sur le plan familial, l’aide précieuse de Catherine a permis à Élise de seconder son mari en particulier pour la vente; mais il n’y a pas de vrai appartement, on vit un peu dans le magasin qui est très vaste en utilisant des pièces secondaires pour la vie de jour et quelquefois les salles d’exposition pour dormir dans des lits qui se rabattent au sortir des armoires et qui se referment pendant le jour. Ce genre de vie se perpétuera de la même manière à Sainte-Colombe ou à Saint-Cyr (pas de véritable appartement et un confort plutôt spartiate).

Octobre 1933, Joseph est victime d’un terrible accident de la route, il est happé par une voiture alors qu’il marche le long d’une route; seize blessures à la tête, une jambe brisée et des atteintes de toutes sortes qui sont la cause d’une longue hospitalisation et de séquelles qui modifient son comportement définitivement. Plusieurs séjours en psychiatrie et divers traitements n’y feront rien; l’affaire périclite et les conditions de vie familiale se détériorent.

En 1939, Joseph décide – avec des moyens financiers importants – de réaliser un rêve de jeunesse en louant deux fermes de montagne à Saint-Genest-Malifaux dans la Loire où il installe cinquante bêtes à cornes de race suisse, achetées à grands frais en Côte-d’Or. Femme, enfants et quelques ouvriers paysans (y compris au début Martin, Catherine et leurs enfants) essaient de gérer cette activité, sans connaissances particulières. Joseph fait la navette entre les magasins de Vienne, Sainte-Colombe (où il n’y a plus d’ouvriers), Saint-Cyr et les fermes (à Vienne, Marie et ses deux plus jeunes frères sont restés). À la ferme, on s’épuise en vain à entretenir un cheptel qui ne s’acclimate pas et les pertes sont très importantes.

Un an après, Joseph vend bétail et matériel aux enchères avant de prendre en location deux nouvelles fermes dans l’Isère à 20 kilomètres de Vienne; les résultats ne seront pas bien meilleurs et l’abandon de cette activité viendra très vite après deux ans environ, avec un repli sur Sainte-Colombe et Saint-Cyr, le magasin de Vienne ayant été abandonné entre temps.

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Pendant cette période, les «filles» de la maison se sont mariées et il reste à Sainte-Colombe bientôt que les deux plus jeunes qui partiront un peu plus tard.

Quelques mots encore qui me paraissent nécessaires.

Joseph qui avait reçu une instruction très sommaire dans son jeune âge avait réussi, à force de lectures très diverses, à se forger une certaine culture (sa bibliothèque était volumineuse lorsqu’il a fallu la partager, et ça n’était pas fait de volumes de vitrine). Il avait investi avant tous les autres dans la pub, et ce intelligemment en s’adressant aux premiers spécialistes; il avait, avant beaucoup d’autres, pratiqué l’«entrée libre» dans les magasins, la garantie de «30 ans» et beaucoup de choses du même genre.

En résumé: un esprit inventif, un self-made-man, qu’un accident a malheureusement stoppé dans la force de l’âge.

Joseph Rossi

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